Concile de Trente (1546-47) - La prédestination

Exercices pour les étudiants de l’institut Foi vivifiante

Etude : F. Breynaert, Parcours christologique, Parole et Silence 2016, p. 199-216

Exercices : 

  1. Quelles sont les sources bibliques du Concile de Trente pour parler du péché originel ? 
  2. Pourquoi la doctrine du péché originel a du être davantage réfléchie au XVI° siècle ? 
  3. Judas était-il prédestiné à trahir Jésus ? 
  4. Les hommes ont-ils chacun une vocation particulière ? 
  5. Un baptisé est-il simplement revêtu de la grâce ou bien est-il réorienté en profondeur ? 
  6. Pourquoi faut-il demander la grâce de la persévérance ? 

Décret sur le péché originel (1546)

Christologie. Concile de Trente (1546). Le péché originel, le Christ.

« Par un seul homme le péché est entré dans le monde,

et par le péché la mort,

et qu’ainsi la mort a passé en tous les hommes,

du fait que tous ont péché » (Rm 5, 12).

Rappel du parcours biblique

            Les connaissances bibliques actuelles ne remettent pas en cause les appuis bibliques du concile de Trente, mais elles les situent simplement mieux dans l’histoire de la révélation.         Rappelons par exemple, que dans sa signification première, le récit de Genèse 2-3 n’évoque pas le péché originel, mais il reflète l’histoire d’Israël, une histoire d’Alliance, de péché et de pardon. Le péché de David avec la femme d’Urie, le culte du Baal et le péché du veau d’or à Dan et Béthel dans le royaume de Samarie, ou les infidélités des Hébreux au temps de la traversée du désert sont représentés dans ce péché d’Adam et Eve mangeant de l’arbre défendu. Tous ces péchés chassent du paradis de l’intimité avec Adonaï. Mais après la faute, l’histoire d’Alliance et la promesse reprennent…

            L’idée que Satan tente les hommes est une idée relativement tardive, présente dans les livres de sagesse, après l’exil à Babylone.

            La doctrine du péché originel a ses prémices dans la théologie juive au temps du Christ, avec l’idée présente dans les tannaïm selon laquelle, si l’homme pèche et rejette Dieu, Dieu ne s’impose pas, mais il se retire au 7° ciel, laissant le monde dans les ténèbres[1]. Le Christ, en se présentant comme la lumière du monde, sous-entendrait une telle vision des choses. Lumière du monde, il sauve le monde des ténèbres où la Faute l’a jetée. Dans le sermon sur la montagne, quand Jésus parle de l’amour des ennemis, de ne pas injurier (Mt 5-7), ou encore la fidélité dans le mariage (Mt 19), il révèle la nature humaine telle que le Créateur l’avait voulu. Par contraste, il révèle la nature déchue et le péché originel, comme dans le rétroviseur.

            C’est encore plus clair dans la Passion et la résurrection. Le Christ avait dit « mon Père et moi sommes un » (Jn 10, 30). Comment les hommes en sont-ils arrivés à un aveuglement tel qu’ils crucifient Jésus, le Christ, oint de l’Esprit Saint ? Il fallait qu’il y ait une cassure profonde, le péché originel, une fracture "en Adam".

            Plus encore la résurrection nous montre un homme glorieux qui entre toutes portes fermées : on le reconnait, pourtant il est différent. Serait-ce la manifestation de la nature humaine avant la chute ?

            La doctrine du péché originel mûrit donc à la lumière de la croix et de la résurrection, notamment avec saint Paul. Et, en effet, le concile de Trente s’appuie non pas sur Genèse 2-3 mais sur l’épitre de saint Paul aux Romains. Saint Paul nous dit : « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché » (Rm 5, 12). Le péché originel est donc une tache morale qui appelle une rédemption, une responsabilité juridique qui appelle une réconciliation. Au verset 14, il précise que la mort concerne même les innocents : le péché originel est donc un état déchu, une corruption héréditaire, plus encore qu’une tache morale. « Cependant la mort a régné d’Adam à Moïse même sur ceux qui n’avaient point péché d’une transgression semblable à celle d’Adam » (Rm 5, 14). Cette idée d’état déchu était déjà exprimée au 2° concile d’Orange au VI° siècle.

            L’expérience du pardon du Christ et de sa rédemption est tellement puissante qu’elle a conduit saint Paul à penser que le Christ a restauré la création jusque "en Adam". «… De même la grâce régnerait par la justice pour la vie éternelle par Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 5, 21). Le Christ nouvel Adam restaure l’humanité à la racine et de manière universelle.

            Avant saint Paul, le titre par lequel Jésus se désignait − "Fils de l’homme" −, disait déjà le mystère de cette restauration de la nature humaine déchue depuis le péché originel.

            Nous lisons dans les Actes des apôtres que Paul (Saül), sur le chemin de Damas, eut une vision du Christ ressuscité qui l’envoya vers les nations païennes « pour leur ouvrir les yeux, afin qu’elles reviennent des ténèbres à la lumière et de l’empire de Satan à Dieu, et qu’elles obtiennent, par la foi en moi, la rémission de leurs péchés et une part d’héritage avec les sanctifiés » (Ac 26, 18).

            La mission de saint Paul est de délivrer les hommes de l’empire de Satan par la foi au Christ, synonyme d’une guérison du péché d’Adam. « Si, par la faute d’un seul, la multitude est morte, combien plus la grâce de Dieu et le don conféré par la grâce d’un seul homme, Jésus Christ, se sont-ils répandus à profusion sur la multitude » (Rm 5, 15). Cette grâce advient par le baptême dans la mort et la résurrection du Christ (Rm 6).

            Paul affirme à la fois un état déchu et une responsabilité de chacun. Paul explique que la responsabilité personnelle demeure (Rm 1-2), tous ont péché, même les païens car ils avaient une loi inscrite dans le cœur (Rm 2, 15). La faute d’Adam a généré un état déchu pour toute l’humanité, par conséquent la mort touche tous les êtres humains, même les innocents (Rm 5, 14), et de toute façon, « tous ont péché » (Rm 5, 12).

           

            Cet enseignement est conforme à la révélation de Jésus, qui en révélant l’homme à l’image de Dieu selon le dessein du Créateur (monogamie, ne pas injurier, etc.) révélait aussi que toute l’humanité avait déchu de cet état par une cassure originelle (le péché originel), tout en appelant chacun à user de son libre-arbitre : « veux-tu » ?

 

            La doctrine sur le péché originel est donc intrinsèquement liée à celle de la Rédemption par le Christ (cf. CEC 407).

            Ce n’est que dans un regard rétrospectif que l’on peut relire toute la Bible comme une histoire de rédemption du péché originel.

 

            La doctrine du concile de Trente sur le péché originel s’appuie d’abord sur la lettre de saint Paul aux Romains qu’il cite abondamment, sans citer le récit de la Genèse.

            Il est cependant tout à fait possible, comme le fait le récent catéchisme catholique, de faire une lecture chrétienne de la Genèse comme illustration du péché originel : Adam et Eve firent un péché de défiance et de désobéissance envers Dieu ; l’homme, par la séduction du diable, a voulu "être comme Dieu" (cf. Gn 3,5), mais "sans Dieu, et avant Dieu, et non pas selon Dieu" (S. Maxime le Confesseur). L’homme accuse alors sa femme, et le frère tue son frère, la création devient hostile et l’homme retourne à la poussière (CEC 399-401).

 

Le texte du concile de Trente       

            La doctrine du concile de Trente constitue une réponse à deux hérésies opposées.

            Le concile de Trente a pour objectif de répondre à des querelles, dont certaines sont nouvelles et d’autres déjà anciennes (DS 1510).

            L’erreur ancienne est l’erreur de Pélage au cinquième siècle : « Pélage tenait que l’homme pouvait, par la force naturelle de sa volonté libre, sans l’aide nécessaire de la grâce de Dieu, mener une vie moralement bonne ; il réduisait ainsi l’influence de la faute d’Adam à celle d’un mauvais exemple » (CEC 406). Le deuxième Concile d’Orange, en l’an 529, avait répondu en parlant d’un « état pire », d’un « esclavage » (Rm 6, 16), de la « mort corporelle » comme « peine due au péché » et de la « mort de l’âme, qui par un seul homme a passé dans tout le genre humain » (Rm 5, 12)[2].

            Le concile de Trente reprend cet enseignement, avec ses deux mots clés « état pire » et « mort de l’âme ». Autrement dit, le péché originel n’est un péché qu’au sens analogique, c’est plutôt un « état ».

            Le Canon 2 rappelle que le péché originel est à la fois une corruption (qui amène la mort du corps) et une tache morale (la mort de l’âme) :

« Canon 2. "Si quelqu’un affirme que la prévarication d’Adam n’a nui qu’à lui seul et non à sa descendance", et qu’il a perdu la sainteté et la justice reçues de Dieu pour lui seul et non aussi pour nous, ou que, souillé par le péché de désobéissance, "il n’a transmis que la mort" et les punitions "du corps à tout le genre humain, mais non pas le péché, qui est la mort de l’âme" : qu’il soit anathème, puisqu’il est en contradiction avec l’Apôtre qui dit : "Par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort et ainsi la mort a passé dans tous les hommes, tous ayant péché en lui" Rm 5,12 » (DS 1512).

 

            Le Canon 3 s’oppose à l’erreur de Pélage et de ceux qui pensent que nos propres forces suffisent à enlever le « péché d’Adam » (le péché originel) :

« Canon 3. Si quelqu’un affirme que ce péché d’Adam - qui est un par son origine et transmis par propagation héréditaire et non par imitation, est propre à chacun - , est enlevé par les forces de la nature humaine ou par un autre remède que le mérite de l’unique médiateur notre Seigneur Jésus Christ qui nous a réconciliés avec Dieu dans son sang Rm 5,9 s, "devenu pour nous justice, sanctification et Rédemption" 1Co 1,30 ou s’il nie que ce mérite de Jésus Christ soit appliqué aussi bien aux adultes qu’aux enfants par le sacrement conféré selon la forme et l’usage de l’Eglise : qu’il soit anathème.

Car "il n’est pas d’autre nom sous le ciel qui ait été donné aux hommes par lequel nous devons être sauvés" Ac 4,12. D’où cette parole : "Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde" Jn 1,19, et celle-ci : "Vous tous qui avez été baptisés, vous avez revêtu le Christ" Ga 3, 27 » (DS 1513).

 

            Ainsi donc, Pélage se trompait, ainsi que les gnostiques de tous les siècles qui partagent l’idée de se sauver par soi-même de l’état déchu du péché originel, sans le Christ.

            Le concile de Trente parle d’une propagation héréditaire : Adam n’a pas perdu son état premier pour lui-même seulement. Et c’est en regardant le Christ que l’on comprend ce que l’on a perdu. Bien sûr, la propagation du péché originel demeure un mystère.

            Le concile de Trente est résumé dans le récent catéchisme de l’Eglise catholique :

« Cependant, la transmission du péché originel est un mystère que nous ne pouvons pas comprendre pleinement. Mais nous savons par la Révélation qu’Adam avait reçu la sainteté et la justice originelles non pas pour lui seul, mais pour toute la nature humaine: en cédant au tentateur, Adam et Eve commettent un péché personnel, mais ce péché affecte la nature humaine qu’ils vont transmettre dans un état déchu (cf. Cc. Trente: DS 1511-1512) » (CEC 404).

 

            En conséquence, le concile de Trente rappelle que l’Eglise baptise les petits enfants (DS 1514), ce que beaucoup de protestants ne comprennent plus.

 

            Le concile de Trente se trouve aussi face aux réformateurs protestants qui « enseignaient que l’homme était radicalement perverti et sa liberté annulée par le péché des origines ; ils identifiaient le péché hérité par chaque homme avec la tendance au mal ("concupiscentia"), qui serait insurmontable » (CEC 406). En conséquence, les protestants ne voyaient le salut qu’à la manière d’un vêtement extérieur, le fond de l’homme demeurant mauvais.

            En réponse aux protestants, le concile de Trente précise soigneusement que la tendance au mal ne doit pas être confondue avec l’état déchu de notre nature après le péché originel. L’état déchu ne peut pas être vaincu par l’homme, mais la tendance au mal (la concupiscence) n’est pas un état insurmontable. Elle n’est qu’une conséquence du péché originel et elle incline au péché personnel, elle n’est pas proprement péché : elle peut et doit être combattue. Ce n’est pas parce qu’on a une mauvaise pensée que l’on est mauvais, mais chacun peut et doit combattre la mauvaise pensée.

 

            Il est vrai que saint Paul parle de la domination du péché comme étant un esclavage du péché (Rm 6, 16), mais justement, saint Paul parle de la possibilité de mourir au péché en nous unissant à la mort et à la résurrection du Christ (notamment par le baptême).En conséquence, la grâce du salut est vraiment une grâce qui touche notre être profond (grâce « entitative »), et non pas simplement une grâce extérieure (grâce « forensique »). Le baptême et l’union au Christ nous sauvent. La tendance au mal est corrigée, saint Maxime le Confesseur aurait dit que, dans le Christ, l’homme a retrouvé son « tropisme » vers Dieu[3].

  « Que la concupiscence ou le foyer du péché demeure chez les baptisés, ce saint concile le confesse et le pense ; cette concupiscence étant laissée pour être combattue, elle ne peut nuire à ceux qui n’y consentent pas et y résistent courageusement par la grâce du Christ. Bien plus, "celui qui aura lutté selon les règles sera couronné" 2Tm 2,5. Cette concupiscence, que l’Apôtre appelle parfois "péché" Rm 6,12-15 ; 7,7 ; 7,14-20, le saint concile déclare que l’Eglise catholique n’a jamais compris qu’elle fût appelée péché parce qu’elle serait vraiment et proprement péché chez ceux qui sont nés de nouveau, mais parce qu’elle vient du péché et incline au péché. Si quelqu’un pense le contraire : qu’il soit anathème » (Concile de Trente, canon 5, DS 1515).

 

            Le récent catéchisme rappelle cet aspect du concile de Trente : il faut certes être lucide mais l’homme reste libre et capable de combattre.

 

Un regard lucide.

  « La doctrine sur le péché originel - liée à celle de la Rédemption par le Christ - donne un regard de discernement lucide sur la situation de l’homme et de son agir dans le monde. Par le péché des premiers parents, le diable a acquis une certaine domination sur l’homme, bien que ce dernier demeure libre. Le péché originel entraîne "la servitude sous le pouvoir de celui qui possédait l’empire de la mort, c’est-à-dire du diable" (Cc. Trente: DS 1511 cf. He 2,14). Ignorer que l’homme a une nature blessée, inclinée au mal, donne lieu à de graves erreurs dans le domaine de l’éducation, de la politique, de l’action sociale (cf. CA 25) et des mœurs » (CEC 407).

 

            Chacun va vivre le combat contre le mal jusqu’à la fin de sa vie ; et cela à chaque génération jusqu’à la fin du monde (même si après la « chute de Babylone », il y aura un apaisement !)

« Cette situation dramatique du monde qui "tout entier gît au pouvoir du mauvais" (1Jn 5,19 cf. 1P 5,8) fait de la vie de l’homme un combat:

Un dur combat contre les puissances des ténèbres passe à travers toute l’histoire des hommes; commencé dès les origines, il durera, le Seigneur nous l’a dit, jusqu’au dernier jour. Engagé dans cette bataille, l’homme doit sans cesse combattre pour s’attacher au bien; et non sans grands efforts, avec la grâce de Dieu, il parvient à réaliser son unité intérieure (GS 37) » (CEC 409).

 

Marie.

            Le concile de Trente termine en nous parlant de Marie :

« Cependant ce même saint concile déclare qu’il n’est pas dans son intention de comprendre dans ce décret, où il est traité du péché originel, la bienheureuse et immaculée Vierge Marie, Mère de Dieu, mais que l’on doit observer les constitutions du pape Sixte IV, d’heureuse mémoire, sous la menace des peines qui y sont contenues et il les renouvelle » (Concile de Trente, Canon 6, DS 1516).

            Le dogme de l’Immaculée conception est en pleine maturation.

© Françoise Breynaert

 

[1] Tanhuma naso 16, éditions Eshkol, Jérusalem 1972, pp. 687-688

[2] CONCILE D’ORANGE, Canon 1 et 2 (DS 371-372)

[3] St MAXIME LE CONFESSEUR, Opuscule 20, (PG 236 C D, traduction par F-M LETHEL, Théologie de l’agonie du Christ, Beauchêne, Paris 1979, p. 75-76)

Décret sur la justification (1547)

Concile de Trente, le décret sur la Justification (1547) - la prédestination ?

« Il m’a été fait miséricorde, pour que je sois fidèle » (1Co 7,25)

           Pour bien comprendre le Concile de Trente, il faut se souvenir du Parcours biblique. En lisant la Bible, nous avons pu nous étonner du langage de l’amitié entre Dieu et les hommes : le Seigneur appelle Abraham « mon ami » (Is 41, 8 ; Dn 3, 35), il parle « à Moïse face à face, comme un homme parle à son ami » (Ex 33, 11). « La Sagesse est un esprit ami des hommes » (Sg 1, 6 ; cf. 7, 23). Le prophète Isaïe parle du Seigneur comme de son ami : « Que je chante à mon bien-aimé le chant de mon ami pour sa vigne » (Is 5, 1). Et le psalmiste prie dans une relation d’amitié avec le Seigneur : « Garde mon âme, car je suis ton ami, sauve ton serviteur qui se fie en toi. Tu es mon Dieu » (Ps 86,2 ; cf. Ps.16, 10 ; 22, 9…). Dans le Nouveau Testament, Jésus dit à ses disciples « Je vous appelle mes amis » (Jn 15, 15) et dans une parabole, le Seigneur déclare : « C’est bien, bon serviteur, lui dit-il ; puisque tu t’es montré fidèle en très peu de chose, reçois autorité sur dix villes » (Lc 19, 17), autrement dit, l’amitié va jusqu’à partager l’autorité et, par-là, jusqu’à coopérer au salut des autres.

            Ce langage de l’amitié entre Dieu et les hommes n’est-il pas excessif ? Effectivement, Dieu est Dieu et l’homme n’est pas à égalité avec Dieu pour traiter avec Lui comme avec un ami ; par lui-même, l’homme ne peut pas être ami de Dieu. C’est donc Dieu qui élève l’homme pour qu’il puisse être son ami. On peut repérer un certain processus : l’Alliance avec Abraham est inconditionnelle, c’est une initiative et une promesse de Dieu. Dès que le consentement de la foi est donné, Dieu ajuste progressivement l’homme à lui et lui donne de pouvoir entrer dans une amitié (il le « justifie »). L’Alliance prend alors la forme d’un chemin. Le péché, qu’il faut lentement apprendre à éviter, peut détruire l’Alliance, mais le pardon, comme entre deux amis, est toujours possible.

            Avec raison, saint Thomas d’Aquin parle d’une « amitié de l’homme pour Dieu »[1], cette amitié se fonde sur la grâce, d’abord la toute première grâce où l’homme est attiré, puis, dès lors que l’homme adhère librement par la foi, la grâce sanctifiante par laquelle Dieu élève l’homme à lui et l’invite à coopérer, ce sur quoi le concile de Trente insistera.

 

            La question de la justification a été largement expliquée au 2° concile d’Orange en l’an 553 ; l’hérésie de ce temps-là était le pélagianisme qui minimisait la nécessité de la grâce, comme si l’homme pouvait être d’emblée l’ami de Dieu ; il fallait donc insister sur la grâce et sur le fait que nous ne faisons rien de bien sans la grâce divine.

            Au moment du concile de Trente, l’hérésie est plutôt celle de Luther, qui considère la grâce d’une manière trop extérieure à l’homme. Luther insistait sur la foi : « Car nous estimons que l’homme est justifié par la foi sans la pratique de la Loi » (Rm 3, 28) est une parole fondatrice du protestantisme, elle apaisa Luther en butte à ses récidives. Mais Luther a nettement moins vu que la foi n’est qu’une porte d’accès qui doit mener plus loin dans la vie de la grâce, comme le dit aussi saint Paul : « Lui qui nous a donné d’avoir accès par la foi à cette grâce en laquelle nous sommes établis et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire de Dieu » (Rm 5, 2). De sorte que Paul peut aussi dire : « Quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter des montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien » (1Co 13, 2). La confiance ne fait qu’ouvrir le chemin de l’amitié, de même, la foi ne fait qu’ouvrir le chemin de la charité. Le concile de Trente insiste sur cette dimension, tandis que Luther insiste sur la foi seule, au point d’écrire contre Erasme : « même si cela était possible, je ne voudrais pas recevoir un libre arbitre ou quelques possibilités de m’efforcer moi-même vers le salut »[2]. Luther craint qu’en étant libre, il ne soit abandonné (comme en Enfer). Il n’a pas vu qu’il existe une liberté pour aimer, la liberté du Ciel.

 

            Dans le décret du concile de Trente sur la justification en 1547, le premier chapitre rappelle la doctrine du péché originel et, en conséquence, ni les païens ni les Juifs « ne pouvaient se relever de l’état déchu, même si le libre arbitre n’était aucunement éteint en eux, bien qu’affaibli et dévié en sa force » (DS 1521). La « nature » (c’est-à-dire l’effort personnel, ou encore je ne sais quelle force cosmique) est impuissante à justifier les hommes, de même, la loi de Moïse. Et pourtant, les hommes continuent de pouvoir exercer leur libre arbitre, même quelqu’un qui n’est pas baptisé est capable de vouloir le bien et de rejeter le mal.

            Le concile parle ensuite de la rédemption accomplie par le Christ, et pour cela, le concile s’appuie de nouveau sur la lettre aux Romains : « C’est lui que "Dieu a établi victime propitiatoire par son sang moyennant la foi" (Rm 3,25) » (DS 1522). Rappelons les notions bibliques : au Jour de l’expiation (Yom Kippour - cf. Lv 16), le propitiatoire, c’est-à-dire le couvercle de l’Arche de l’Alliance, est aspergé du sang d’un taureau immolé. Or, le propitiatoire est aussi le lieu de la mystérieuse présence de Dieu. Le sang du sacrifice, dans lequel tous les péchés des hommes ont été absorbés, est purifié en « touchant » la divinité, et les hommes représentés par ce sang sont rendus purs. (La « propitiation » n’était pas un mot abstrait, c’est un mot issu de ce rituel biblique).

            Jésus est la présence du Dieu vivant. En lui se touchent Dieu et l’homme. En lui se réalise ce que le rite du Jour de l’expiation voulait exprimer : sur la Croix, Jésus dépose tout le péché du monde dans l’amour de Dieu et le fait fondre en lui.

            Les pères du concile rendent grâce ; avec l’apôtre Paul, ils remercient le Seigneur :

« Mais, bien que lui soit "mort pour tous" (2Co 5,15), tous cependant ne reçoivent pas le bienfait de sa mort mais ceux-là seulement auxquels le mérite de sa Passion est communiqué. […]Pour ce bienfait l’Apôtre nous exhorte à toujours "rendre grâce au Père qui nous a rendus dignes d’avoir part à l’héritage des saints dans la lumière et nous a arrachés à la puissance des ténèbres et transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la Rédemption et la rémission des péchés" (Col 1,12-14)» (DS 1523).

            Ils continuent en disant : « Et "Nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu s’il ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit Saint" Jn 3,5 » (DS 1524) et ils interprètent cette renaissance comme étant le baptême ou le désir du baptême.

 

            La justification est alors décrite avec beaucoup de soin : elle comporte la grâce prévenante et la coopération humaine à cette grâce[3] :

- la justification «a son origine dans la grâce prévenante de Dieu par Jésus Christ, c’est-à-dire dans un appel de Dieu par lequel ils sont appelés sans aucun mérite en eux ».

- « poussés et aidés par la grâce, ils se disposent à se tourner vers la justification que Dieu leur accorde, en acquiesçant et coopérant librement à cette même grâce ».

 

            Ce double mouvement est appuyé sur l’Ecriture « lorsqu’il est dit dans la sainte Ecriture "Tournez-vous vers moi et moi je me tournerai vers vous" (Za 1,3), notre liberté nous est rappelée ; lorsque nous répondons "Tourne-nous vers toi, Seigneur, et nous nous convertirons" (Lm 5,21), nous reconnaissons que la grâce de Dieu nous prévient » (DS 1525).

            Nous demandons la grâce prévenante par laquelle Dieu nous tourne vers lui, mais nous devons nous tourner vers Dieu, c’est notre coopération.

 

            Le concile explique ensuite comment l’homme se prépare à recevoir la justification par le baptême (cela concerne surtout les catéchumènes) :

« Ils s’élèvent à l’espérance, confiants que Dieu, à cause du Christ, leur sera favorable, commencent à l’aimer comme source de toute justice, et, pour cette raison, se dressent contre les péchés, animés par une sorte de haine et de détestation, c’est-à-dire par cette pénitence que l’on doit faire avant le baptême Ac 2,38 » (DS 1526).

 

« Cette disposition ou préparation est suivie par la justification elle-même, qui n’est pas seulement rémission des péchés, mais à la fois sanctification et rénovation de l’homme intérieur par la réception volontaire de la grâce et des dons. Par-là, d’injuste l’homme devient juste, d’ennemi ami, en sorte qu’il est "Héritier, en espérance, de la vie éternelle" (Tt 3,7) » (DS 1528).

            Ainsi, la justification est une rénovation et une amitié.

 

            Le concile analyse ensuite les causes de cette justification:

  • « cause finale : la gloire de Dieu et du Christ, et la vie éternelle » (DS 1529). Il y a une sorte d’élargissement de notre cœur ; on ne se regarde plus ; on regarde Dieu.
  • « cause efficiente : Dieu qui, dans sa miséricorde, lave et sanctifie gratuitement 1Co 6,11 par le sceau et l’onction 2Co 1,21-22 de l’Esprit Saint promis "qui est le gage de notre héritage" Ep 1,13-14 ;
  • « cause méritoire : le Fils unique bien-aimé de Dieu, notre Seigneur Jésus Christ qui, "alors que nous étions ennemis" Rm 5,10, "à cause du grand amour dont il nous a aimés" Ep 2,4, par sa très sainte Passion sur le bois de la croix nous a mérité la justification et a satisfait pour nous à Dieu son Père ;
  • cause instrumentale : le sacrement du baptême, "sacrement de la foi" sans laquelle il n’y a jamais eu de justification pour personne. » (DS 1529)
  • Enfin l'unique cause formelle est la justice de Dieu, "non pas celle par laquelle il est juste lui-même, mais celle par laquelle elle nous fait justes", c'est-à-dire celle par laquelle, l'ayant reçue en don de lui, nous sommes "renouvelés par une transformation spirituelle de notre esprit" Ep 4,23 nous ne sommes pas seulement réputés justes, mais nous sommes dits et nous sommes vraiment justes 1Jn 3,1, recevant chacun en nous la justice, selon la mesure que l'Esprit Saint partage à chacun comme il le veut 1Co 12,11 et selon la disposition et la coopération propres à chacun. » (DS 1529).

            Le mot « coopération » arrive tout à la fin du paragraphe : notre coopération est en position seconde par rapport à la grâce.

 

            Par la justification, l’homme reçoit tous les dons infus : la foi, l’espérance et la charité. (DS 1530)

            Alors que Luther parlait de la foi seule, le concile de Trente, en associant la lettre de saint Paul et la lettre de saint Jacques, unit la foi, l’espérance et la charité.

« On dit en toute vérité que la foi sans les œuvres est morte et inutile (Jc 2,17-20), et que dans le Christ Jésus ni la circoncision, ni l’incirconcision n’ont de valeur, mais la foi "qui opère par la charité" (Ga 5,6 ; 6,15) » (DS 1531).

 

            Les catholiques, et sur ce point ils sont bien d’accord avec les protestants, enseignent que le salut est un don gratuit. Et le concile insiste sur ce point, tout en insistant aussi sur la coopération humaine.

« Lorsque l’Apôtre dit que l’homme est "justifié par la foi" et gratuitement Rm 3,22-24, il faut comprendre ces mots dans le sens où l’a toujours et unanimement tenu et exprimé l’Eglise catholique, à savoir que si nous sommes dits être justifiés par la foi, c’est parce que "la foi est le commencement du salut de l’homme", le fondement et la racine de toute justification, que sans elle "il est impossible de plaire à Dieu" He 11,6 et de parvenir à partager le sort de ses enfants 2P 1,4 ; et nous sommes dits être justifiés gratuitement parce que rien de ce qui précède la justification, que ce soit la foi ou les œuvres, ne mérite cette grâce de la justification. En effet "Si c’est une grâce, elle ne vient pas des œuvres ; autrement (comme le dit le même Apôtre) la grâce n’est plus la grâce" Rm 11,6 » (DS 1532)

 

            En disant cela, le concile de Trente reprend le 2° concile d’Orange, en l’an 529, qui citait encore beaucoup d’autres passages de l’Ecriture :

« Canon 8. Si quelqu’un prétend que certains peuvent arriver à la grâce du baptême par la miséricorde, d’autres par le libre arbitre, dont il est clair qu’il est vicié en tous ceux qui sont nés de la prévarication du premier homme, il démontre qu’il est étranger à la vraie foi. Il affirme en effet que ce libre arbitre n’a pas été affaibli en tous par le péché du premier homme, ou au moins il croit qu’il a été lésé seulement, de telle sorte que néanmoins certains hommes peuvent encore d’eux-mêmes, sans révélation divine, conquérir le mystère du salut éternel. Combien cette doctrine est contraire, le Seigneur le montre, qui atteste que ce ne sont pas certains mais personne qui peut venir à lui "si le Père ne l’a attiré" (Voir Jn 6,44), comme il dit aussi à Pierre : "Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas, parce que ce ne sont pas la chair et le sang qui te l’ont révélé mais mon Père qui est dans les cieux" (Mt 16,17) ; l’Apôtre dit aussi : "Personne ne peut dire : ‘Jésus est Seigneur’, si ce n’est dans l’Esprit Saint" (1Co 12,3) » (2° concile d’Orange, DS 378).

"C’est par la grâce que vous êtes sauvés, moyennant la foi, et cela ne vient pas de vous ; c’est le don de Dieu"(Ep 2,8), et ce que l’Apôtre dit de lui-même : "Il m’a été fait miséricorde, pour que je sois fidèle" (1Co 7,25 ; 1 Tm 1,13) ; il ne dit pas : "parce que j’étais», mais "pour que je sois". Et ce texte : "Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?" (1Co 4,7), et celui-ci : "Tout don de valeur et tout cadeau parfait descend du Père des lumières" (Jc 1,17) »[4]

Césaire d’Arles ajoutait : « Nous croyons aussi, selon la foi catholique, qu’après avoir reçu la grâce par le baptême tous les baptisés peuvent et doivent accomplir, avec l’aide et la coopération du Christ, tout ce qui concerne le salut de leur âme, s’ils veulent fidèlement y travailler. Non seulement nous ne croyons pas que certains hommes soient prédestinés au mal par la puissance divine, mais s’il était des gens qui veuillent croire une telle horreur, nous leur disons avec toute notre réprobation : anathème ! »[5]

 

            Cette idée de coopération est peu développée par le concile d’Orange car elle n’était pas contrariée par le pélagianisme, mais elle est davantage développée par le concile de Trente qui se trouve face au protestantisme.

 

            Dans le chapitre 9 du décret sur la justification, le concile de Trente met en garde contre la vaine confiance des hérétiques : il ne s’agit pas de se dire : je crois que je suis sauvé, donc je suis certainement sauvé.

« En effet, de même qu’aucun homme pieux ne doit mettre en doute la miséricorde de Dieu, les mérites du Christ, la vertu et l’efficacité des sacrements, de même quiconque se considère lui-même, ainsi que sa propre faiblesse et ses mauvaises dispositions, peut être rempli d’effroi et de crainte au sujet de sa grâce, puisque personne ne peut savoir, d’une certitude de foi excluant toute erreur, qu’il a obtenu la grâce de Dieu » (DS 1534).

 

            Nous ne devons pas nous juger nous-mêmes, ni en mal, ni en bien ; sans pour autant vivre dans la peur, nous vivons dans une humilité et une crainte de Dieu.

            Le chapitre 11du décret reviendra sur ce thème en insistant : personne ne doit se rassurer dans la foi seule. Il faut sans cesse s’appliquer aux commandements et aux bonnes œuvres (DS 1538).

            Entre temps, le chapitre 10 développe l’idée d’accroissement de la grâce reçue.

« Ainsi donc, ceux qui ont été justifiés et sont devenus "amis de Dieu" et "membres de sa famille" (Jn 15,15 ; Ep 2,19) marchant "de vertu en vertu"(Ps 83,8) se renouvellent (comme dit l’Apôtre) de jour en jour (2Co 4,16), c’est-à-dire en mortifiant les membres de leur chair (Col 3,5) et en les présentant comme des armes à la justice pour la sanctification (Rm 6,13-19), par l’observation des commandements de Dieu et de l’Eglise ; ils croissent dans cette justice reçue par la grâce du Christ, la foi coopérant aux bonnes œuvres (Jc 2,22) et ils sont davantage justifiés, selon ce qui est écrit : "Celui qui est juste, sera encore justifié"(Ap 22,11) et aussi : "Ne crains pas d’être justifié jusqu’à la mort"(Si 18,22) et encore "Vous voyez que l’homme est justifié par les œuvres et non par la foi seule" (Jc 2,24). Cet accroissement de justice, la sainte Eglise le demande quand elle dit dans la prière : "Seigneur, augmente en nous la foi, l’espérance et la charité" » (DS 1535).

 

            Si nous sommes fidèles à chaque grâce, la grâce augmente en nous. La parabole des talents nous montre aussi cela (Mt 25, 14-30). Les saints sont ceux qui ont fait fructifier la grâce. Et comme c’est la grâce qui fait la valeur de nos actions, les saints ont une vie très féconde…

 

            Important aussi est le chapitre sur le don de la persévérance.

« Il est écrit à son sujet : "Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé"(Mt 10,22 ; 24,13) : cela ne peut se faire que par celui qui "a le pouvoir de maintenir celui qui est debout pour qu’il continue de l’être" (Rm 14,4) et de relever celui qui tombe. Que personne donc ne se promette rien de sûr avec une certitude absolue, bien que tous doivent placer et faire reposer dans le secours de Dieu la plus ferme espérance. Car Dieu, s’ils ne sont pas infidèles à sa grâce, mènera à son terme la bonne œuvre, comme il l’a déjà commencée (Ph 1,6), opérant en eux le vouloir et le faire (Ph 2,13).

Pourtant, que ceux qui se croient être debout, veillent à ne pas tomber (1Co 10,12) et travaillent à leur salut avec crainte et tremblement (Ph 2,12) dans les fatigues, les veilles, les aumônes, les prières et les offrandes, dans le jeûne et la chasteté (2Co 6,5-6). […] » (DS 1541).

 

            On lit en résumé, dans les canons sur la justification :

«Canon 24. Si quelqu’un dit que la justice reçue ne se conserve pas et même ne s’accroît pas devant Dieu par les bonnes œuvres, mais que ces œuvres ne sont que le fruit et le signe de la justification obtenue et non pas aussi la cause de son accroissement : qu’il soit anathème » (DS 1574).

           

            Le concile est donc extrêmement dynamique ; en quelque sorte, il nous dit : d’accord Dieu nous fait un don gratuit, mais, dans l’Alliance, Dieu souhaite que les hommes, dont il a fait ses amis, agissent à leur tour ; même si notre action est toute petite et que l’on ne peut donner à Dieu que ce qu’il nous a d’abord donné…

 

            Le concile évoque ensuite le sacrement de la pénitence, institué par le Christ ressuscité (Jn 20, 22-23) pour relever ceux qui sont tombés dans le péché après le baptême. (DS 1542)

            Le concile précise aussi :

« La grâce de la justification, qui a été reçue, se perd non seulement par l’infidélité, par laquelle se perd la foi elle-même, mais aussi par n’importe quel péché mortel, bien qu’alors ne se perde pas la foi. On défend ainsi la doctrine de la loi divine qui exclut du Royaume de Dieu non seulement les infidèles mais aussi les fornicateurs, adultères, voleurs, avares, médisants, rapaces (cf. 1Co 6, 9-10) et tous les autres qui commettent des péchés mortels, dont, avec l’aide de la grâce divine, ils peuvent s’abstenir et à cause desquels ils sont séparés de la grâce du Christ » (DS 1544).

           

            En conséquence, la vie éternelle est à la fois une grâce miséricordieusement accordée, et on le comprend bien, la vie éternelle est un cadeau bien trop grand pour que nous puissions dire « j’y ai droit ». En même temps, la vie éternelle est aussi une récompense qui couronnera nos efforts, selon l’Ecriture :

« Et c’est pourquoi, à ceux qui agissent bien "jusqu’à la fin" Mt 10,22 ; 24,13 et qui espèrent en Dieu, il faut proposer la vie éternelle à la fois comme la grâce miséricordieusement promise par le Christ Jésus aux fils de Dieu et "comme la récompense", que Dieu, selon la promesse qu’il a faite lui-même, accordera à leurs œuvres bonnes et à leurs mérites. Telle est, en effet, "la couronne de justice" dont l’Apôtre disait qu’elle lui était "réservée après son combat et sa course et lui serait donnée par le juste juge, non seulement à lui, mais aussi à tous ceux qui attendent avec amour son avènement" 2Tm 4,7-8 » (DS 1545).

 

            Les notions de récompenses et de mérites ne sont pas contraires à l’amour. Une récompense est une manière de reconnaître l’autre…

 

            Comme dans une synthèse, le concile reprend l’image de la vigne et des sarments :

« Le Christ Jésus lui-même communique constamment sa force à ceux qui ont été justifiés, comme la tête aux membres Ep 4,15, comme le cep aux sarments Jn 15,5 force qui toujours précède, accompagne et suit leurs bonnes œuvres et sans laquelle celles-ci ne pourraient en aucune manière être agréables à Dieu et méritoires » (DS 1546).

 

            Le Concile de Trente vise aussi les hérésies sur la prédestination, présentes chez les protestants (et plus tard chez les jansénistes), et qui découlent d’une mauvaise compréhension de la justification.

            Et c’est encore saint Paul qui nous donne la clé. Nous sommes comme de bonnes et de mauvaises poteries (Rm 9,21) ; Dieu "a préparé" les vases d’élection (Rm 9, 23), mais ce n’est pas lui qui prépare les vases pour la perdition, il les "supporte" (Rm 9, 22).

            Le Canon 4 explique que nous ne sommes pas des marionnettes pour Dieu, même dans nos bonnes actions.

« Canon 4. Si quelqu’un dit que le libre arbitre de l’homme, mû et poussé par Dieu, ne coopère en rien quand il acquiesce à Dieu, qui le pousse et l’appelle à se disposer et préparer à obtenir la grâce de la justification, et qu’il ne peut refuser d’acquiescer, s’il le veut, mais que tel un être inanimé il ne fait absolument rien et se comporte purement passivement: qu’il soit anathème[6] » (DS 1554).

 

            Le canon 6 découle de l’image du potier qui façonne les justes mais qui supporte les mauvais (Rm 9, 21-23) :

« Canon 6. Si quelqu’un dit qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de s’engager dans les voies du mal, mais que ses mauvaises comme ses bonnes actions sont l’œuvre de Dieu, non seulement parce qu’il les permet, mais encore proprement et par lui-même, tellement que la trahison de Judas ne serait pas moins son œuvre propre que la vocation de Paul : qu’il soit anathème » (DS 1556).

 

            Les canons 15 et 17 corrigent une idée païenne du destin et de la prédestination, comme s’il existait des livres du destin sur lesquels tout serait écrit d’avance (idée que l’on trouve aussi dans l’islam).

« Canon 15. Si quelqu’un dit que l’homme né de nouveau et justifié est tenu par la foi de croire qu’il est certainement au nombre des prédestinés : qu’il soit anathème » (DS 1565).

« Canon 17. Si quelqu’un dit que la grâce de la justification n’échoit qu’à ceux qui sont prédestinés à la vie et que tous les autres qui sont appelés, le sont assurément, mais ne reçoivent pas la grâce, parce que prédestinés au mal par la puissance divine : qu’il soit anathème » (DS 1567).

© Françoise Breynaert


[1] Saint THOMAS D’AQUIN, Somme Théologique, II-II Qu.23 a.1

[2] LUTHER, De servo arbitrio (1525). Du serf arbitre, Œuvres tome V, Labor et fides, Genève 1958, p. 228

[3] Une doctrine déjà présente au concile d’Orange, au temps de l’Eglise indivise.

[4] 2° concile d’Orange, conclusion de Césaire d’Arles, DS 396

[5] 2° concile d’Orange, conclusion de Césaire d’Arles, DS 397

[6] Par cette formule, le concile entend définir la limite de l’hérésie ; il ne s’agit pas de définir qui va en enfer, le jugement des personnes n’appartient qu’à Dieu et Jésus est sévère à ce sujet : « si quelqu’un dit à son frère : Renégat!, il en répondra dans la géhenne de feu » (Mt 5, 22).

Le concile de Trente

            Dans l’étude du premier millénaire, nous avons répété l’avertissement de saint Irénée : l’Antichrist « récapitulera en lui toute l’erreur diabolique » [1]. C’est encore vrai avec les hérésies du second millénaire. Pour se faire adorer, l’Antichrist aura tout intérêt à se dire sans péché, sans péché originel, sans besoin d’être sauvé par Jésus… Pour se faire excuser les horreurs qu’il suscitera, il aura tout intérêt à dire qu’il était prédestiné à les accomplir (hérésie sur la prédestination et la justification), et finalement, il aura tout intérêt à affaiblir les hommes en les privant de la nourriture spirituelle que Jésus nous a donnée par l’Eucharistie, et pour les en priver plus sûrement, il cherchera à détruire la foi correspondante...

© Françoise Breynaert


[1] St IRENEE DE LYON, Contres les hérésies V, 5

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Date de dernière mise à jour : 26/08/2020